Une soirée à la Comédie
Et bien, cela faisait longtemps que nous n'étions pas allés à la Comédie Française ! Cette année, soit nous avions déjà vu les mises en scènes soit nous n'étions pas attirés par la programmation. Jusqu'à...
La Maison de Bernarda Alba
de
Federico Garcia Lorca
Cette pièce fait son entrée au répertoire de la Comédie Française cette année avec une magnifique mise en scène de Lilo Baur.
A la mort de son second mari, Bernarda Alba impose à sa famille un deuil de huit ans et l'isolement à ses filles, comme l'exige la tradition andalouse en ces années 1930. Soucieuse des apparences et du qu'en dira-t-on, "ce que je veux c'est que le front de ma maison soit lisse, et la paix dans ma famille", la maîtresse de maison définit pour ses cinq filles, âgées de 20 à 39 ans, les règles d'une nouvelle société où la femme est coupée du monde et des hommes. "Naître femme est la pire des punitions" déclare Amelia, l'une des filles. Seule pourvue d'une importante dot, Angustias, fille aînée issue du premier mariage de Bernarda Alba, est fiancée à Pepe le Romano qui alimente les rêve secrets de toutes les filles de la maison et particulièrement d'Adela, la plus jeune...
Curieusement, ce drame, en ombre épaisse, au carcan insupportable, au dénouement prévisible et tragique, avait marqué mon adolescence.
S'il y a quelque chose d'actuel dans ce texte, ce n'est pas du côté de notre société qu'il faut regarder. Nous avons depuis longtemps laissé les voiles noirs des veuves et la soumission a cédé la place à la liberté des filles. Mais dans les années 60, on voyait encore passer ces longs cortèges de voiles funèbres, on parlait encore de toilettes de deuil, puis demi-deuil et de la longueur décente des jupes des jeunes filles. Chez moi, régnait ma grand-mère Jeanne, capable de gifler sa fille parce qu'elle rentrait trop tard d'une promenade dominicale à la campagne ayant laissé sa mère dans l'inquiétude... (ma mère avait alors plus de cinquante ans !). De plus, les femmes étaient en nombre, veuves ou célibataires et j'allais en classe, en uniforme, chez les religieuses, de noir vêtues ... Pensez si la merveilleuse Adela, éprise de vie, d'amour, de liberté, dut-elle en mourir, enflamma mon esprit rebelle...
La mise en scène est magistrale. Peu de lumière au travers d'une paroi en moucharabiés qui laisse entrevoir des morceaux de vie - celle des autres - joyeuse ou cruelle. A l'intérieur on s'active à des "choses de femme" : le ménage, les repas, la couture, la jalousie, les disputes. Si on veut de l'air, il y a le patio. Pour pleurer sur son sort, il y a la chambre... Et puis, il y a l'éclat d'Adela. Sa jeunesse, sa beauté, son envie de vivre. La petite robe verte qui danse avec les plumes parmi les robes sombres et les visages aigris, envieux, fermés...
Un très beau spectacle en vérité que je recommande, dans une salle confortable et... fraîche !
Photos @ Brigitte Enguerrand
La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca, traduction Fabrice Melquiot, mise en scène Lilo Baur. Avec Claude Mathieu, Anne Kessler, Cécile Brune, Sylvia Bergé, Florence Viala, Coraly Zahonero, Elsa Lepoivre, Adeline d'Hermy, Jennifer Decker, Elliot Jenicot, Claire de La Rüe du Can et les élèves-comédiens : Claire Boust, Ewen Crovella, Charlotte Fermand, Thomas Guené, Solenn Louër, Valentin Rolland. A la Comédie-Française, salle Richelieu, jusqu'au 25 juillet 2015 (en alternance). Réservations au 0 825 10 1680.
Durée : 1h40 sans entracte.