Lundi 72
Douce est rentrée en larmes dans la cuisine fraîche où se tient sa mère. Elle hoquète et des mots inarticulés sortent de sa bouche. De nombreuses perles roulent sur ses joues rebondies. Elle a vraiment l'air en souffrance. Brune lui demande de se calmer tout en cherchant du regard l'ombre de Douce, sa grande amie Clara. Comme celle-ci n'est pas là, elle a déjà compris et calîne sa fille en attendant la confidence :
- Clara, elle veut plus me causer !...
Brune comprend bien le problème. Douce lui ressemble. Ainsi nommée pour l'aider à, comment dire..., assouplir un caractère bien trempé ! Douce veut commander, prêter ou ne pas prêter, jouer ou embêter... C'est une adorable petite fille, blonde, jolie, intelligente et vive. Mais parfois trop et le geste dépasse l'intention... Clara a aussi son caractère. Quand on dit qu'elle est l'ombre de Douce, ce n'est pas qu'elle se tiendrait effacée, c'est seulement parce qu'elle est aussi brune que Douce est blonde et, surtout, parce que malgré les cris, les batailles, les disputes, elles sont inséparables depuis... la crèche ! L'une ne va pas sans l'autre. Elles ne sont pas encore bien grandes mais elles ont déjà beaucoup partagé.
Tout à l'heure, sur l'escalier, Brune les entendait. Elles avaient chacune cueilli un bouquet.
- C'est pour ma maman.
- Non, c'est pour la mienne !
- C'est pour ma maman, je te dis !
- Mais c'est pour la mienne aussi ! On n'a pas la même !
Elles se sont regardées et elles ont ri. Puis Clara a dit : Non, c'est pour toi. Et Douce lui a répondu. : Attends, avec les miennes, on va faire une couronne pour toi. On dirait qu'on est des reines...
Un quart d'heure plus tard, Douce était venue bouleversée. Douce est hypersensible. Elle a du mal à trouver sa place dans sa grande fratrie et pourtant c'est Clara qu'elle a choisi. Clara, exigeante et déterminée, à la rude école de cinq frères aînés ! Brune rassure, console. Elles vont à la recherche de Clara dans le jardin. Elle tourne le dos, affligée, dans son coin. Brune l'appelle sur un ton enjoué. La petite fille tourne la tête, un peu sur la défensive mais confite de chagrin, les yeux rouges et le menton tremblant. Douce a reculé.
- Vous savez quoi, les filles, j'ai une idée, dit Brune. Vous avez chaud, on va jouer à s'arroser ! Enlevez les robes !
Elle a tourné le robinet et l'eau gargouille dans le long tuyau jaune. Voici le jet que Brune règle en fines gouttelettes avec son pouce.
- Courez ! je vous attrape !
Le jet s'élève, le tuyau tournoie, l'eau poursuit les petites filles qui courent sur l'herbe en poussant des cris de joie. Elles dansent et sautent sous l'eau fraîche, s'ébrouent, tentent de capter les gouttes qui filent entre leurs doigts. Et puis elles se heurtent dans leur danse. Elles s'arrêtent et se contemplent, ruisselantes, trempées, ravies. Elles se prennent les mains, puis s'étreigent sous le jet d'eau et continuent leur sarabande main dans la main. La dispute est finie.
© Lakévio