Tante Marthe

James Joseph Tissot - Femme dans un élégant intérieur

Je n'ai pas connu Tante Marthe. Elle est morte juste avant mon arrivée dans ce monde, moi, la Miette de petite dernière.

C'était la tante de ma mère, côté paternel. La mère de sa cousine Gerda.

Si Solange était fascinée par Gerda, de neuf ans son aînée, comme Miette a pu l'être par Fine, sa soeur, elle aimait énormément Marthe, beaucoup plus douce et affable que sa propre mère. Fille unique, elle aimait à séjourner chez sa tante où l'enjouement de ses cousins et leurs amis l'égayaient de sa solitude.

Tante Marthe était généreuse et avait un caractère heureux. Elle pensait qu'il valait mieux dépasser les coups du sort et les tourner à son avantage, apprendre à maîtriser son destin, faire bonne figure. Elle tenait cela de sa mère, cette dame que son mari avait ruinée, obligeant mon grand-père, qui aurait pu, en héritier, vivre de ses rentes, à aller travailler...

Marthe, elle, s'était mariée. Un mariage d'amour, entendons-nous bien. Sinon pourquoi aurait-elle épousé un gendarme veuf alors que demoiselle, écoutant sans doute les discussions de salon à propos de jeunes épousées pas très heureuses en ménage, elle avait décrété qu'en tous cas, jamais elle ne prendrait un veuf ou un gendarme ! Oncle Maxime était l'un et l'autre et sa petite épouse tentait vaillamment de l'éloigner du drame terrible qu'il avait vécu : son fils tombé dans un puits et son épouse périssant avec lui en voulant le sauver...

Fiancée rieuse, elle avait préparé son mariage en écartant volontairement les désillusions de sa propre mère. L'avenir serait ce qu'elle en ferait. Mais le noir destin rôdait encore. Quelques jours seulement avant le mariage de sa fille, Francis son père - mon arrière-grand-père - eut ce qu'on appela pudiquement "un acccident malheureux" et se blessa fatalement. C'est sur son lit de mourant que Marthe vint, en robe de mariée, déposer un baiser filial et désolé au matin de ses noces. Il mourut cinq jours après. Maxime y vit bien sûr un mauvais présage et en resta taciturne et anxieux.

Tante Marthe fut toute sa vie lumineuse et gaie, sa maison accueillante et ma mère ne tarissait pas d'anecdotes sur les moments passés à La Tourette. Les souvenirs les plus heureux de mon enfance sont issus  de là, disait-elle.

© Lakévio

 Paul César Helleu - Le chapeau à plume

Comments

[heure-bleue]

Elle avait le goût de vivre...Je vais peut être devoir abandonner over-blog, mon blog ne fonctionne plus, il refuse mes articles et les commentaires...

[Framboise Pornic]

Ainsi va la vie ...

(joli portrait de fin )

[le_gout_des_aut]

Tu nous as déjà parlé de tante Marthe.

J'en suis charmé chaque fois.

J'aime les mariages réussis et les gens heureux de vivre.

[mab]

Quel drame!

[Rose]

Sûrement difficile de vivre pleinement son mariage dans ces conditions , tu as un grand talent de narratrice :)

Bonne nuit