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25 août 2012

Tante Mélisse

 

Portrait de femme aquarelle Academie Colarossi non signe XIX -XXe

Aquarelle - Portrait de femme, non signé. Elève de l'Académie Colarossi

 

 

C'était la soeur aînée de mon père.

Ils avaient une affection sans bornes l'un pour l'autre. On peut dire à présent que ma mère trouva parfois que c'était un peu trop. Mais elle comprenait aussi que Mélisse eût eu besoin d'un soutien et d'un confident...

 

Mélisse était la fille de ma grand-mère La Grenadière. On sait que celle-ci avait toujours eu de l'ambition pour ses enfants et entendait  bien marier richement sa fille...

Je m'amusais beaucoup à ces histoires car pour moi Tante Mélisse était déjà cette grand-mère un peu ronde, au chignon gris, bas noirs et robe noire et parfois tablier à carreaux gris, le châle au crochet noir serrant éternellement sa poitrine bronchitique. Elle avait cependant de très jolis yeux bleus et sans ces grains de beauté proéminants et poilus sur sa joue, j'aurais aimé me laisser embrasser... Ah, il y avait aussi ces fameuses tartes aux pommes sures que je ne pouvais avaler tellement elles étaient acides !

Mais voilà, Tante Mélisse n'avait pas toujours été vieille. Et elle avait un roman...

 

 

Lorsqu'elle fut en âge de se marier, ses parents cherchèrent le prétendant idéal. Pas question de laisser cette jolie jeune fille, heureusement dotée, éduquée avec soin, élégante d'allure, la taille bien faite et l'oeil clair, à un paysan du coin, fut-il pourvu d'argent et de terres autant qu'il en fallait. Non, Mélisse s'établirait avec un Monsieur de la Ville et ne crotterait pas ses souliers. 

Il advint - le ciel a de ses cruautés ! - que le prétendant fut rapidement trouvé. Un jeune notaire, de Paris s'il vous plaît, revint après des années d'absence revoir sa parentèle restée au pays. Et dans ce hameau, l'apparition de Mélisse jouvencelle lui fut comme une révélation. Le cou gracile, le port gracieux, les yeux bleus, les bottines et même... les grains de beauté non encore volumineux ravirent ses yeux et son coeur. Il demanda à faire sa cour... à chaque fois qu'il reviendrait au village.

Il revint. Ils se virent.

 

- Non, non et non !  C'est impossible.   C'est trop affreux. Un tourment, un supplice !  Non, mère, pardonnez-moi mais jamais je ne pourrai ...  Enfin, père, l'avez vous entendu ?...  Mère, s'il vous plaît !...

 

Mais qu'avait donc fait le notaire pour déplaire à la demoiselle ?...

Il était bègue.

Sans doute pas quelque chose de conséquent puisqu'il était notaire. Mais après tout,  je n'en sais rien... Rien du tout ! Faisons confiance à Mélisse.

Oh, il était aussi affligé d'un pied bot...

 

On demanda à la jeune fille de réfléchir, de peser le pour et le contre. Et la belle réfléchissait... car le prétendant lui plaisait autant qu'il lui dé-plaisait. Parisien, établi, cultivé, musicien, éloquent lorsqu'il n'ouvrait pas la bouche et... boîteux ! Hélas, ses défauts ... étaient par trop visibles.

 

La saison des bals et des mariages commence et Mélisse ne s'est pas encore fiancée ; elle est invitée dans toute la contrée.

Et voici que lors d'une danse la pression d'une main l'émeut. Dans son dos l'autre main de son cavalier la brûle. Elle-même  se sent   moite. Elle s'essouffle. Etourdie, elle trébuche, s'excuse et voudrait soudain disparaître.  Mais au contraire le cavalier la retient pour mieux la soutenir. Il la conduit à une chaise, se hâte à lui porter un verre d'eau. Elle boit sans le regarder et lui n'a d'yeux que pour la boucle échappée dans le cou de sa cavalière et pour sa poitrine qui se soulève si rapidement sous les dentelles blanches. C'est lui qui reprend le verre. Son regard si pressant oblige Mélisse à lever les yeux. Il en est déjà fou ; elle se sent défaillir. Il a les yeux bleus. Il est immense. Il est superbe (Là, j'exagère mais je parle avec son coeur car il n'était pas particulièrement beau, l'Oncle Léopold !). Elle est amoureuse.

Léopold est sous-chef de gare à G.  Ce n'est pas Paris, mais au moins, c'est une ville !

 

 

 

Mélisse est mariée et elle a même eu son premier enfant. Elle est heureuse. Léopold attend d'être nommé Chef de Gare à V.

C'est alors que survient l'événement, la "trahison"...

Le père de Léopold meurt, laissant à son fils unique un immense domaine et sa mère à sa charge. Un fils unique qui ne peut refuser de retourner à la terre de ses ancêtres. Mélisse doit quitter ses jolies bottines et ses robes de dame. Elle entre dans le noir - du deuil et de la rancoeur - pour ne plus en sortir...

Je me garderai de décider d'où viennent les torts. Des protagonistes, sans doute... De la génération précédente, peut-être... Les amours se font, l'amertume les efface. Restait le devoir. Il y eut deux autres enfants puis un jour, je ne sais quand, des "chambres à part" qui m'étonnaient toujours, enfant, lorsque je ne connaissais pas le roman... Il y eut l'amour, les blessures de l'âme, les larmes et les regrets mais tout resta figé, les convenances de l'époque furent sauvées.

 

Pauvre Tante Mélisse accrochée à ses éclats de rêve...

 

© Lakevio

 

bottines debut XXe

 

 

 

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Commentaires
M
C'est une bien triste histoire joliment racontée
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L
Que tout cela est bien conté ! Félicitations , c'est un vrai plaisir de te lire !
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L
Ciel ! Quelle histoire !<br /> <br /> Ça fait mal, c'est terrible ce qui arrive.<br /> <br /> T'ai-je déjà dit que tu écris bien ?
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H
Tu as une sacrée plume.Je comprends Tante Mélisse....
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M
Ah oui un vrai roman et joliment conté.
Répondre
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