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13 juillet 2012

Souvenir d'un matin d'été

 

 

Dudley William Harold La maison d ete

William Harold Dudley - La Maison d'été

 

                    C'était un matin d'été, doux, embaumé, encore silencieux. Le soleil entrait à flots dans la chambre car Miette avait encore oublié de fermer les volets. Elle tendit l'oreille. Aucun bruit dans la maison, aucune rumeur venant de la rue, pas d'échos dans le jardin. Seulement cette vibration particulière de l'air annonçant déjà une journée magnifique.

                    Miette alla ouvrir la fenêtre. Les moineaux piaillèrent et s'envolèrent du marronnier qu'elle aurait pratiquement pu toucher en tendant un peu le bras...

Elle se rappela son frère qui, pour épater les copains, avait tendu une corde et joué les acrobates pour gagner l'arbre depuis la chambre. Petite fille alors, à la fois fascinée et effrayée, intéressée mais timide, elle avait regardé à demi-cachée se propulser le grand-frère. Ce matin-là, Miette, dix-sept ans, se voulait romantique. Elle imagina un Roméo qui ferait le chemin en sens inverse pour la rejoindre. Puis elle rit d'elle-même : faudrait pas croire, les choses ne se passaient pas ainsi en 1967 ! Demain, sa soeur se mariait. Les premiers invités arriveraient cet après-midi et elle aussi aurait... elle voulait avoir... sa première histoire d'amour.

                 

Grand-Mère était levée à présent. Elle entendait tinter les casseroles dans l'appartement du dessous. A côté, dans la chambre des parents, rien ne bougeait pourtant. Miette décida de se recoucher et de tenter de rêver... à Roméo !

  

Van Gogh Marronniers en fleurs 1890

Van Gogh - Marronnier en fleurs - 1890

 

                   

                Plus tard, beaucoup plus tard, elle descendit à la cuisine pour le petit déjeuner. Son père remontait du jardin. Il avait encore la marque du chapeau de soleil sur le front et il s'épongeait avec son mouchoir toujours abondamment parfumé.

- Et bien, il va faire chaud, il fait déjà 27° à l'ombre !

Il tenait dans sa main deux, trois poires, petites, tachées, véreuses parfois mais toujours sucrées et juteuses.

- Tu en veux une ? Goûte-moi ça !

 Mais Miette ne voulait jamais goûter aux fruits du jardin, même pour lui faire plaisir.

                   

                Pendant que son père buvait son café avec ce bruit qu'elle n'aimait pas - il l'aspirait à petites gorgées brûlantes - elle ouvrit la porte-fenêtre et alla s'accouder au balcon. Devant elle, la danse de la lumière dans les feuilles du cerisier, l'odeur du thym et des roses du parterre et surtout, la densité de l'air sur la terre grise. Il lui semblait presque percevoir le crissement de la poussière s'élevant du sol surchauffé.

- Rentre, voyons. Ferme les volets, ne laisse pas entrer la chaleur et les mouches !

Respirer, s'imprégner encore une fois de ce matin radieux, prometteur, et puis, rentrer dans l'ombre, dans ce qui n'était plus l'enivrement du soleil mais la touffeur, la lourdeur, les contraintes... Mais qu'arrivait-il à Miette ?... Elle refusa d'être morose.

                   

                         Elle resta cependant longtemps dans la cuisine, à sa place familière, son petit coin, entre la table et le frigo. Le thé refroidissait. Les pieds posés sur une autre chaise et le menton sur les genoux, elle pensait... Miette pensait toujours beaucoup. Finalement, pourquoi en vouloir à ses parents de suivre des rites immuables ? Elle non plus n'aimait pas que les choses changent ! Et sous l'excitation de l'événement - le mariage de sa soeur - il y avait l'angoisse des nouveaux venus qui allaient surgir... les invités, le "cavalier" qu'on lui destinait... Et pire encore, la tristesse du partage, de la perte irréversible... Miette but le thé froid puis se leva d'un bond, laissant tout en plan.

- Je descends !

 

 

Nittis de Giuseppe Dejeuner au jardin

Giuseppe de Nittis - Déjeuner au jardin

 

                 

                      Elle traversa la buanderie et le garage pour rejoindre son père qui lavait la voiture. Le jet frappait la tôle et les vitres. Les gouttes, dans la lumière, brillaient comme des gemmes avant de retomber sur le ciment,  la mousse glissait, l'eau s'égouttait en rigoles gagnant la terre qui exhalait alors son odeur puissante de terre lourde et noire.

 - Tu viens m'aider ? Prends la peau de chamois...

                      Miette prit le chiffon sur le bord du seau mais resta là à contempler son domaine. Au-delà de l'ombre, le soleil éclaboussait tout : les roses sur les murs blancs, la vigne, la ville et les montagnes aux contours indéfinis dans la brume de chaleur qui s'installait. Elle décida de faire le tour de la maison : soleil, ombre, soleil, soleil, ombre... rien que pour sentir que cette terre, ce jardin lui appartenait et qu'elle était irrémédiablement "d'ici".

 

AA Federico Olaria

Federico Olaria - Panier de roses

 

Matin d'étéJuillet 1967

LE JARDIN (extrait)

E. L. 20 juin 1986

© Lakevio

 

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Commentaires
M
Un matin d'été , un lointain souvenir pour une mule normande ......<br /> <br /> Bisous et bon week-end .<br /> <br /> Maman mule
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B
Quel texte vivant et vibrant de bruits et d´odeurs! Est-ce donc toi qui l´a écrit? Ca fait part d´un futur roman?<br /> <br /> En tout cas......j´aime bcp bcp bcp!
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M
En ce matin automnal j'apprécie particulièrement le texte si joliment illustré.
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