Conte du Lundi 86
Catherine Rey
Jeu des Papous N°2 - Dix mots à caser.
soierie
excellent
éliminer
explication
tranchant
éclaireur
douceâtre
dominer
effet
hostile
Taratata! C'est excellent, les carottes, reprit d'un ton tranchant Cousine Nicole. Si tu veux une explication à mon tour de taille, le voilà ! C'est l'effet minceur de mon régime végétalien.
Merlotte, ainsi nommée parce qu'elle aimait à siffler, rentra un peu plus son cou dans ses épaules. Cousine Nicole avait l'art d'étoffer vos mignonnets bourrelets rien qu'en vous regardant. Alors, quand elle commençait à parler régime !... Merlotte avait treize ans et se savait un peu... mais juste un peu... enrobée. Elle n'était pas hostile à l'idée d'éliminer deux ou trois kilos mais ce n'était pas en lui proposant des menus insipides que Cousine Nicole y parviendrait ! Sa mère s'y serait sûrement pris autrement...
La jeune fille sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle baissa la tête sur son ouvrage, le temps de se dominer et reprit courageusement le brossage des légumes. Cousine Nicole s'était installée à la maison à la mort de maman ; c'était gentil à elle. Il fallait bien quelqu'un pour aider papa à élever les petits frères qui n'avaient que cinq ans. Maman aimait beaucoup sa cousine et Merlotte était suffisamment grande pour se rappeler les nombreuses histoires qu'elle racontait sur l'intrépide qui avait parcouru le monde comme journaliste, bien souvent dans des contrées quasi inconnues, en éclaireur, avant de faire venir les professionnels du reportage, ethnologues, anthropologues, linguistes... Maman devait sans doute l'envier un peu, elle qui avait choisi mariage et famille.
Merlotte se retourna soudain pour regarder Nicole, réalisant quel immense sacrifice avait dû faire la cousine pour changer radicalement de vie et s'occuper de trois marmots au lieu de filmer des peuplades indigènes... La jeune femme lui adressa un sourire. Merlotte déposa la bassine avec les carottes étincelantes sur la table. Nicole en choisit trois qu'elle mit de côté. Celles-ci seront pour le potage. Tu veux bien me sortir le faitout ?
Comment pouvait-elle s'occuper à des tâches si banales et même, semblait-il, y prendre du plaisir après avoir exercé un métier incroyable ? Tout en raclant la botte de légumes tandis que Nicole tranchait céleri et pommes de terre, Merlotte se força à se remémorer l'arrivée de Nicole. C'était un moment effroyable. Maman s'était tuée dans un accident de voiture, papa était noyé dans son terrible chagrin. La maison était pleine de monde. Grand-Mère Louis recevait la famille et les visiteurs avec force liqueurs et gâteaux secs, ; Papy André et Mamireille étaient bien trop anéantis. On parlait à voix basse, on s'étreignait au sortir de la chambre où on avait déposé maman. Merlotte n'aimait pas, n'aimerait plus jamais cette pièce où régnait alors un parfum douceâtre de larmes et de bougies. Et puis, Cousine Nicole avait fait son entrée. Elle se rappelait bien, Merlotte, comme l'ambiance avait changé. Elle apportait de l'énergie, du courage, de l'efficacité. Elle était accompagnée de sa mère, qu'on appelait Tante Liesse, qui était la soeur de Mamireille. Il y eut de longs conciliabules avec les vieilles personnes, puis les mêmes avec papa... C'est à ce moment-là sûrement que ça s'est décidé, quand elle a répété : Sois en sûr, Hervé, c'est ce que Stella aurait voulu...
Sa douce maman au nom d'étoile...
Merlotte posa son couteau, jeta un oeil à Nicole affairée, puis regarda les carottes honnies. Très doucement, s'efforçant de maîtriser sentiment et souvenir, elle dit : Quand maman est partie... elle allait à un concert ... Elle avait une robe orange magnifique. Nous avions choisi la soierie ensemble. Elle avait de jolis reflets, comme les carottes lavées tout à l'heure... Nicole aussi posa son couteau et leurs yeux se rencontrèrent. Y puisant du courage et s'efforçant d'être positive, Merlotte poursuivit : Je crois que le tissu venait de l'Inde. Es-tu déjà allée dans ce pays ?...
© Lakévio