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27 février 2017

La vérité-vraie 49

 

andrew wyeth

 

 La route pour rentrer chez elle ne lui était jamais pénible. Bien sûr, elle la préférait au printemps, lorsque les talus avaient le vert tendre du renouveau et que la neige des cerisiers teintait et embaumait l'allée. Dans l'herbe haute, les taches jaunes des boutons d'or et pissenlits. Dans les branches, les frétillements des ailes des oiseaux bâtissant leur nid, puis les pépiements lorque la nichée s'éveillait aux frais et clairs matins de mai.

L'été était particulièrement agréable sous les ombrages des grands arbres. Vieux fûts que sa grand-mère avait déjà connus et dont le feuillage cachait complètement la vieille batisse jusqu'à ce qu'on arrive au tournant... Les iris et les mauves coloraient les sous-bois. Comme la mousse était tendre et les épines douces... Le bois chantait l'allégresse sauvage du vent léger.

L'automne était une vraie splendeur, colorée, odorante... Elle se rappelait, enfant, lorsque le chemin n'était pas encore goudronné, les feuilles sur le sable mouillé de l'allée et cette senteur puissante de champignons et des lichens sous les grands arbres, là où elle avait l'habitude de se cacher profond avec son frère pour guetter si un daim oserait s'approcher. Cela arrivait en ce temps-là. Ils retenaient leur souffle pour qu'il ne parte pas trop vite. Si ce n'était pas le daim, c'était un renard ou des lapins ; le coin était vraiment sauvage alors.

Il y avait eu des hivers redoutables. Des hauteurs de neige inconfortables, presque inquiétantes, à ne pas laisser sortir les enfants et pourtant, dès qu'ils le pouvaient, ils couraient devant la maison enfoncer leurs jambes jusqu'à mi-cuisses dans la poudreuse. Parfois, ils avaient été surpris au retour de l'école par les congères formées dans la journée. La nuit tombait et c'était la lanterne allumée à la fenêtre qui les guidait pour rentrer. C'était de rudes hivers. Mais c'était supportable, comme de formidables aventures lues dans les livres.

Elle aimait son rude pays aux saisons bien marquées. Cet hiver-ci, elle était bien contente du sol gelé et de la neige car elle retrouvait ces saveurs d'enfance. Le bitume avait disparu et le brouillard effaçait le bois clairsemé et les maisons nouvelles ajoutées au paysage. Là, exactement où elle était, elle ralentissait même s'il pleuvait pour que ce soit encore "presque" comme avant. Avant qu'on aperçoive le lotissement qui avait poussé comme des champignons juste derrière le domaine... La neige était donc bienvenue. Même si c'était plus froid et plus long qu'autrefois dans ses jours de gamine.

Elle rentrait, après le lycée, descendue du car qui s'arrêtait sur la nationale au bout de ce qui, après avoir été une allée, était devenu la route du domaine de Bien-Assis. Sa maison, son domaine. Bien posé, longtemps caché et isolé. Il y avait la grand route de l'autre côté, celle qui menait à l'entrée du lotissement, là où il y avait le véritable arrêt de car mais elle demandait toujours au chauffeur de la déposer à l'entrée de l'ancien chemin. 

Elle n'avait pas vraiment envie de grandir. Elle aurait voulu que le temps ralentisse, qu'elle ne soit pas obligée de passer son bac pour ne pas partir. Partir, c'est mourir. Ce n'est pas elle qui le disait mais la grande bâtisse. Son frère était déjà parti. Son père aussi, mais lui, au cimetière... Trois femmes dans cette grande maison. Bientôt deux. Puis un jour, sa mère seule. Et elle le savait, le domaine mourrait à son tour car les investisseurs, les constructeurs guettaient l'aubaine. La bâtisse s'écroulerait et des gravats s'élèveraient de nouveaux lotissements ou une belle résidence où elle n'aurait plus ses entrées... Le domaine de Bien-Assis serait tout autre !

Pour l'heure, elle se hâtait à présent vers la maison qui l'attendait, le feu qui ronronnait au salon, la bouilloire qui chantait, le cake de grand-mère, le tricot de sa mère, les chaussettes chaudes et les chaussons posés sur le radiateur de l'entrée. Oui, le sourire des deux femmes, la chaleur du foyer ; elle voulait se repaître de ce qui seraient ses souvenirs quand elle goûterait à la douceur d'évoquer ces heures chaudes dans sa maison d'enfance bien-aimée.

 

© Lakévio

 

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Commentaires
J
Votre texte, que j'aime beaucoup, évoque cette campagne que le poète Gustave Roud nommait "campagne perdue". Vous réveillez plein de souvenirs...<br /> <br /> Je vous souhaite une bonne semaine<br /> <br /> Berne, ce mardi gras de 2017<br /> <br /> Jean-Jacques'60<br /> <br /> <br /> <br /> P.-S. Ma version est sortie des limbes. Je n'avais plus accès au tableau de bord de mon blog.
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P
http://prali.canalblog.com/archives/2017/02/28/34989951.html#commen<br /> <br /> Voilà madame ;) Bises
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V
Mais pourquoi ne reviendrait-elle pas après ses études si son cœur est attaché à ce chemin, à cette bâtisse ? Il faut écouter son coeur : au diable les promoteurs ! J'aime beaucoup cette description, saison après saison. Ma version (enfin en ligne) : http://veroreve.canalblog.com/archives/2017/02/27/34978569.html
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A
beau texte!<br /> <br /> j'ai eu très envie de participer mais avec la venue de Monsieur Neveu, samedi et dimanche j'ai fait la guide touristique au lieu de sucer la plume ;-)
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L
Le secret de Gwen :<br /> <br /> <br /> <br /> http://bourlingueuse.canalblog.com/archives/2017/02/26/34984753.html
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