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20 février 2017

La vérité vraie 48

 

Charles-W-Hawthorne -Three-Women-of-Provincetown

 

Bertha était l'aînée, Louisa, la cadette et Dorothée la benjamine. Elles avaient eu une enfance dorée, élevées par des nurses sous la férule de gouvernantes, confiées à des précepteurs, parlant français, allemand et russe, reçues à toutes les soirées enfantines du comté. Plus tard, elles goûtèrent à la joie des parties de tennis et des promenades à cheval dans l'immense propriété que Steven Richardson, leur père, possédait dans les environs de Philadelphie.

Bertha venait de faire son entrée dans le monde lorsque la catastrophe arriva. La menace était en fait présente depuis longtemps, du fait même de l'existence de Steven Richardson. Français d'origine - il avait américanisé son nom - et doué pour les affaires, il s'était incommensurablement enrichi à partir de peu. Il avait su plaire à la société de Philadelphie et épousé une jeune femme de bonne famille, Helena Stuart. C'était un habitué des cercles où il traitait ses affaires mais il avait aussi un secret. Il jouait...

Il jouait gros. Longtemps il avait gagné puis il s'était mis à perdre, régulièrement et de plus en plus dangereusement. Il eut des dettes mais sur sa réputation et ses propriétés, on lui prêtait encore et encore. Puis, au bord de la faillite, il dut donner des gages, vendre des terres, céder des entreprises... Malgré les conseils avisés puis les avertissements, enfin les menaces de ses partenaires et autres associés directs et indirects, il en arriva à se démettre secrètement de la direction de son empire déjà fortement écorné. Pourtant, il continuait de parier et lorsqu'il en arriva à jouer la propriété familiale et la perdit, il se fit sauter la cervelle.

Ce fut un immense scandale dont Helena ne se releva pas. Elle se cloîtra dans une chambre chez ses parents, à Provincetown et ne s'occupa plus de rien ni de personne.

Bertha avait dix-sept ans, Louisa quinze et Dorothée douze. Il y avait aussi leur frère Charles qui en avait sept. La maison fut rachetée par bon papa Stuart et les enfants furent emmenés chez lui, avec leur mère, à Provincetown, pour échapper à la ruine et au scandale.

Bertha, qui avait un caractère bien trempé - ce qui faisait dire méchamment à bon papa Stuart que malheureusement elle ressemblait à son géniteur - détestait la solitude et le confinement au village, même si la vue sur l'Océan était à couper le souffle. Elle était résolue à quitter Provincetown dès qu'elle le pourrait et lorsque son grand-père voulut la marier, elle accepta même si le prétendant ne lui plaisait pas, uniquement pour quitter les lieux. Elle mit deux conditions au mariage : s'installer à Phila dans la maison de son enfance et emmener ses frère et soeurs avec elle. Elle ne céda pas aux oppositions et chantages du grand-père et obtint l'un et l'autre, grâce à l'époux choisi qui consentait à tout. Ce n'était pas un grand mariage ; il ne falllait pas être regardant si on voulait caser la fille d'un suicidé... Jacob était balourd mais bon ; il eut l'heur de mourir quinze ans plus tard, laissant une veuve de presque quarante ans qui avait su mettre fin aux commérages et restaurer l'honneur de la famille par une vie exemplaire. Elle n'avait pas d'enfant. Elle avait bien assez de ses soeurs et de son petit frère.

Soutenue par Bertha, Louisa, qui ne se maria jamais, devint l'adjointe indispensable de la direction de la Bibliothèque de l'Université grâce aux heures qu'elle y avait passé, son zèle et son érudition acquise dans les livres sans aucun professeur jamais autre que ceux de son enfance. Elle était tout simplement indispensable parce qu'elle en connaissait le répertoire par coeur ainsi que la place de chacun des ouvrages et souvent même les contenus, remarques, annotations et codicilles. Elle eut même l'occasion de discuter plus d'une fois et d'argumenter avec des professeurs émérites ou auteurs distingués invités à l'Université de Princeton car elle était devenue spécialiste de Réthorique et Philologie. Sa réputation extraordinaire effaça celle de son père.

C'est ainsi que Dorothée put profiter - tardivement, c'est vrai - de la place retrouvée dans la société en épousant l'homme de son choix, à trente-quatre ans : un estimable architecte qui fit fortune en bâtissant de somptueuses villas à Cape Cod qui commençait à devenir sérieusement à la mode.

C'est dans la propriété de bon papa Stuart dont leur mère, puis Charles avait hérité que ce tableau des trois soeurs a été peint. Pour leur frère qui venait, de trop rares fois, s'y reposer.  Personne, grâce au ciel, n'avait dans le sang les penchants de feu Monsieur Richardson, leur père. Charles, tombé fou amoureux de l'immensité et du tumulte des flots, terriblement solitaire, était devenu capitaine au long cours et naviguait à longueur d'années sur l'Océan... Il n'y eut pas de descendants.

 

© Lakévio

 

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Commentaires
J
Je passerai lire les différentes versions demain. Comme d'hab je suis au cordeau pour la mise en ligne de mon texte, à cause du boulot... Comme d'hab je suis à l'ouest avec mon récit...<br /> <br /> Vous pouvez tenter une lecture ici:<br /> <br /> www.jeanjacques666.eu et vous plonger dans les bas-fonds de Gotham City... <br /> <br /> Je vous souhaite une bomne semaine<br /> <br /> Berne, le 20 février 2017<br /> <br /> Jean-Jacques'60
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Q
Elle finit super bien cette histoire. J'aime bien Louisa, la bibliothécaire... Et le capitaine au long cours. Les joueurs, oui, c'est une plaie. Mon beau-père, mort il y a plus de trente ans, l'était... Il avait plusieurs cartes de membre de casinos dans les affaires qu'il a laissées... Quelle histoire ce fut dans la famille !
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Q
Ne savais pas encore très bien comment il fallait s'y prendre. Voilà : http://uerbauolant.canalblog.com/archives/2017/02/20/34958696.html
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E
ne me parle pas des joueurs, c'est un vice qui n'apporte que du malheur! J'en ai connu un en particulier. <br /> <br /> Chez toi, les enfants s'en sortent bien, ton histoire me plait bien , et toujours aussi bien écrite!
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J
Ah, vice quand tu nous tiens !
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