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13 juin 2016

La vérité-Vraie 22

 

Nikolai-Kornilievich-Bodarevsky-Femme-allongée-avec-un-chat

 

Le choix de Grand-Père.

Je n'avais jamais eu l'occasion de rentrer dans la chambre de mes grands-parents avant le décès de mon grand-père, en 1924. C'était ainsi dans la famille, on ne mélangeait pas l'intime au familier.

Il reposait, immense et encore imposant, dans son costume trois pièces, le cou décharné serré dans son col droit, identique à lui-même ; j'en étais surprise. Cela n'avait pas été un grand-père gâteau mais un monsieur rigide, à cheval sur les manières et le savoir-vivre, ne supportant pas la moindre "modernité" du nouveau siècle dans sa maison. J'avais quatorze ans et je me sentais assez mal d'avoir à dire adieu à cet homme qui parlait de sa hauteur et ne vous embrassait que du bout des lèvres, seulement sur le front. Je crois que j'aurais mieux aimé lui serrer la main. Je me demandais toujours ce que Grand-Mère avait bien pu lui trouver ; elle était si différente !...

Pour l'heure, elle tenait un mouchoir froissé dans la main et tamponnait parfois ses yeux qui pourtant restaient secs. Elle hochait la tête douloureusement lorsqu'on lui présentait ses condoléances, remerciait et serrait les mains, recevait baisers et accolades. Attitude adaptée aux circonstances qui aurait été approuvée par Grand-Père, ce gisant immobile aux pieds gigantesques.

C'est alors que je remarquais le tableau surprenant, absolument incongru, au-dessus du lit des grands-parents. J'étais fascinée et ne pouvais en détacher mes yeux. Si frais, si délicat, joyeux, un rien coquin. Inimaginable, incompatible avec le grand-père que je connaissais. C'était peut-être le choix de Grand-Mère. Mais comment avait-elle pu l'imposer à Gustave, le grand-père froid et sévère ?... Un mystère !

Vint la soeur aînée de Geneviève, ma grand-mère, que nous appelions tante Lie. Nous allions la voir souvent, presque aussi souvent que mes grands-parents mais elle ne se rendait jamais chez eux car elle était "persona non grata", on ne savait pas trop pourquoi. Avec elle, Grand-Mère fut plus naturelle. Lie la serrait dans ses bras, lui parlait longuement à l'oreille et Grand-Mère acquiesçait. Elle eut même un sourire mais lui fit les gros yeux lorsque tante Lie déclara un peu trop fort :

- Comment ?... tu n'as pas encore enlevé cette horreur !...

Elle avait les yeux fixés sur le tableau, l'air courroucé en diable ! Je ne comprenais pas ; je trouvais la peinture ravissante...

 

Trois jours après les obsèques, nous allâmes faire nos adieux à Grand-Mère avant de regagner notre maison. Une surprise de taille nous attendait. Grand-mère, en manteau neuf, bleu pâle et non noir comme il est d'usage, était assise sur une malle. Tante Lie, en riant, nous dit qu'elle emmenait sa soeur en voyage tant qu'il en était encore temps !... Grand-Mère aussi était contente ; elle partait en croisière ! Elle qui n'avait jamais voyagé de sa vie ! Elle alla prendre son chapeau neuf qu'elle avait laissé sur son lit et je la suivis. Le tableautin avait disparu du mur...

- Grand-Mère... 

- Je sais ce que tu voudrais me demander, Marianne. Où est passé le petit tableau ?...

- Tu ne le veux plus, grand-mère ? Alors, est-ce que je pourrais ?...

- Je ne crois pas que tu aimerais avoir cela, dit Tante Lie, surgissant sur nos talons. C'est un affront à ma soeur, tu comprends.

- Laisse, Lie, ne dis rien. D'ailleurs c'était peut-être une menterie qu'il m'avait dite.

- Une menterie ? Tu es trop bonne, Geneviève. Tu as supporté cet homme et ses vilainies suffisamment longtemps ! Tu sais très bien que tout le monde était au courant des fredaines de cet hypocrite !

Se tournant vers moi, elle ajouta :

- Tu es assez grande pour le savoir, Marianne, cette toile représente la maîtresse de ton grand-père et il a obligé son épouse, des années durant, à dormir sous son portrait !... D'ailleurs, personne ne l'aura ; ce matin, je l'ai brûlé. J'espère que Gustave et cette drôlesse brûlent en enfer, eux aussi ! Adieu, petite. Nous reviendrons dans deux ou trois mois avec, sans aucun doute, des souvenirs plus heureux.

 

 © Lakévio

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Commentaires
B
Elle est extra ( conjugale ) , ton histoire. Bravo !
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C
Je dirai que c'est une histoire qui finit bien ! de quelle abnégation cette pauvre femme a-t- elle dû faire preuve !
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P
Voilà ma p'tite dame, c'est fait ;) <br /> <br /> http://prali.canalblog.com/archives/2016/06/13/33959210.html
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L
La page de Julie :<br /> <br /> <br /> <br /> http://cearriveenfrance.over-blog.com/2016/06/clafoutis-en-danger.html
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E
j'en ai connu une veuve qui a semblé renaître après son veuvage! Va savoir pourquoi ? Ton histoire en est un exemple, sa sœur a bien raison de ne pas lui laisser le temps de souffler et de l'emmener vite vers une vie plus ... heureuse ! J'aime bien ton histoire.
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