La Vérité-Vraie 19

Emile Friant (1863-1932) 

Vous avez dit, Mademoiselle, que votre chapeau est tombé dans la rivière ?... Suis-je assez galant homme pour vous l'aller chercher ?... Allons, la belle ! j'ai un cigare à terminer. Un cigare que j'ai tiré de la poche du patron qui n'est pas assez généreux pour me l'offrir ni même me donner de quoi m'en payer ! Un cigare à six sous, le bougre ! Ouais, un cigare à six sous, ça se déguste !... Vous voulez essayer ? Juste une bouffée ?...

Regardez-le votre bibi fleuri. n'est-il pas joli planant sur l'onde ? Une touche de couleur sur la flaque grise... Elle n'est pas bien profonde l'eau par ici mais vous avez peur de salir vos belles bottines, vous préférez me laisser crotter mes vilains souliers. Ah, ils ne sont pas en cuir de hongrie, c'est sûr ! Mais eux et moi on a fait bien des kilomètres avant de se poser par ici... J'avais bien besoin de m'éloigner de Paris. Quelques affaires un peu louches, la bourse en peau de chagrin et le coeur en miettes... Et puis je me ruinais avec les demoiselles comme vous qui attendent le client sur les ponts !...

Eh, ne partez pas ! Je m'excuse ! Excusez-moi s'il y a méprise... Je ne vous connais pas mais je vous ai remarquée. Non, ne soyez pas fâchée ! Je me conduis comme un rustre, je sais. J'irai le chercher votre bibi ! Remarquez, un chapeau de perdu, dix de trouvés, n'est-ce pas ! Je vous agace, je le vois bien. Mais vous êtes trop polie pour me planter là et pourtant vous auriez raison. Je ne suis pas un gentil garçon. 

Mais ne pleurez pas ! Regardez-le votre chapeau ; il n'attend que moi. Voilà, je range mon cigare pour ce soir et je m'y jette ! Mais non, n'ayez pas peur. Venez, on va descendre par le côté. Non, je vous dis, n'ayez pas peur ; vous ne craignez rien. Quand on aura récupéré chapeau fleuri, je vous dirai un secret.

Voici ! Mes souliers sont ruinés mais c'est tant pis. Je les oublie pour un sourire et un merci.

Vous voulez mon secret ? Et bien... je vous ai menti. En fait, vous étiez sur ce pont et c'est vrai que j'ai pensé... à une femme de mauvaise vie qui a brisé la mienne. Ne partez pas, écoutez jusqu'au bout !... Je n'aurais jamais pensé cela de vous. Je vous ai vite reconnue : Mademoiselle Hortense, la petite mercière... Je suis Jean, le neveu du notaire. Mes parents ont voulu m'éloigner de Paris et lui ont demandé de m'aider. C'est lui qui m'a offert le cigare. Je... Je suis un maladroit. Je vous ai inquiétée. C'est vrai que je voulais vous faire peur pour que vous ne restiez pas sur ce pont et ne fassiez pas de mauvaises rencontres... Vous êtes si ... fraîche ! Oui, c'est vrai, ici, ce n'est pas Paris !... Allez, je suis désolé. Je ne fais que m'enfoncer, n'est-ce pas ? Je vais vous raccompagner, voulez-vous ?...

© Lakévio

Comments

[lakevio]

Adrienne nous rejoint sur le pont :



http://adrienne.skynetblogs.be/archive/2016/05/25/u-comme-urbanite-8611096.html

[Praline]

Mais quelle imagination !

Comme je suis rentrée depuis dimanche matin, je n'ai vraiment pas pu écrire, mais j'aimerais bien y arriver avant... la suivante consigne. J'ai une petite idée mais avant je vais aller lire les autres textes, des fois qu'une même idée serait venue à quelqu'un(e) d'autre ;)

[lakevio]

EmiliaCelina est aussi sur le pont !



http://emiliacelina.canalblog.com/archives/2016/05/23/33855511.html#c69598765

[emiliacelina]

a vouloir trop bien faire.... il en est maladroit! Gageons qu'il saura se faire pardonnner!

[Anguillette]

un peu tordu ce gars , il peut pas l'aborder plus franchement...