La vérité vraie - 2
La Coruña, Espagne, juillet 1966,
Luisa ouvre un oeil péniblement. Ce qui l'a réveillée sont ces quelques gouttes que quelqu'un lui jette au visage. Elle a froid et si cela pouvait cesser... Elle se redresse et se cogne aussitôt à quelque chose de dur, ce qui la réveille pour de bon. Et ce qu'elle voit lui remet en mémoire tous les détails de la veille. La soirée dans la maison de Juan, le si bon petit vin, les rires, les danses, la guitare de Pablo, les chansons. Et tout ça sombrant lamentablement sur le bord de la route, au retour, lorsque la toute nouvelle voiture de Flora -décapotable, s'il vous plaît - s'est emballée et a fini contre un arbre. Seules au milieu de la nuit, perdues dans la campagne où il ne passe jamais personne... Elles ont dormi dans la voiture. Plus de peur que de mal, c'est vrai, si ce n'est la voiture de Flora ! Au fait, où est-elle ?...
- Flora ?
- Mmmm ?
- Tu vas bien ? Quelle heure est-il, ma belle ?
Flora est allongée sur les sièges arrière de l'auto. Elle se redresse aussi. Une petite balafre court sur son front.
- Je sais pas. j'ai un de ces mals de tête !... J'ai froid. Oh, et puis il pleut maintenant ! Tu devrais remettre la capote !
- Euh, Flora, tu te rappelles ?... On a eu un petit accident et ta voiture, euh...
- C'est pas ma voiture. Je pourrai jamais m'en payer une aussi belle. J'ai dit ça mais... je l'ai empruntée au fils de ma patronne...
Les deux filles se regardent, réalisant soudain le pétrin dans lequel elles sont. Flora jette un oeil sur sa montre.
- Bon sang, il est cinq heures ! Je prends mon service dans une heure. Je ne sais même pas où on est et combien de temps on va mettre pour rentrer en ville. Il faut qu'on parte tout de suite !
- L'usine aussi ouvre dans une heure ! Faut que je me change avant sinon elles vont rigoler à l'atelier. Allez, courage ! On y va. On est peut-être pas loin... Faut retrouver la grand route.
En robette et talons, un peu chiffonnées et égratignées, elles s'élancent sur la route, laissant la voiture empruntée dans le fossé.
- Attends, dit Flora. Regarde ce ciel ; il va pleuvoir des cordes sous peu ! j'avais mis un parapluie dans le coffre.
- Dépêche-toi, je suis déjà trempée !
Rapidement, elles retirent leurs talons pour marcher plus vite. La grand route est là et on devine même la ville et le port. Mais il faut se hâter... La pluie se fait de plus en plus dense. Luisa regarde le ciel.
- Ce n'est pas un orage ; on va en avoir pour la journée !
Transies et silencieuses, ruminant les conséquences d'une soirée qui n'aurait dû qu'être festive, craignant le retard et le renvoi, elles marchent, elles courent... Enfin, elles arrivent en ville où les travailleurs, bien encapuchonnés sous les trombes d'eau qui se déversent du ciel comme souvent en Galice, se hâtent vers leur poste de travail sans un regard pour le spectacle insolite de ces jeunes filles écervelées.
© Lakévio