La maison de Vic-le-Comte

Mildred Butler - Collecting flowers

C'est une petite maison derrière un grand mur au bord d'un jardin. L'habitation semble posée sur un vaste cuvage ; on y accède par un escalier de pierre très raide. Là-haut nous attend la véranda que Tante Lou a fait installer à grands frais. Elle y passe les journées d'été, à griller au soleil, les stores à demi-baissés, tout en lisant ou en tricotant. Marie, sa soeur qui vit avec elle, préfère l'ombre fraîche de l'appartement, vaquer au ménage ou tenir son crochet.

Quand on monte, on voit d'abord les jambes bronzées de Tante Lou posées sur le bout de la chaise longue. Elle est un peu sourde et ne nous entend pas toujours arriver. Bien que la porte soit ouverte, nous toquons sur la vitre par politesse. Tante Lou sursaute en rosissant, s'exclame, s'extirpe de sa chaise pliante à grand peine, heureuse de la surprise. Les effusions ont attiré Marie, contente de l'animation soudaine, de la visite de sa soeur Jeanne et des grands et petits neveux.

On passe à l'ombre et le petit appartement est bientôt plein ! Il y a le côté salon-salle à manger et le côté cuisine, séparés par le "feu continu" et le tuyau de cheminée. Tante Lou tient à ce que nous soyons côté salon, les deux soeurs occupant leur fauteuil respectif : un voltaire recouvert de cretonne verte fleurie pour Lou, un autre de velours grenat pour Marie.

Devant un verre de citronnade - Tante Lou ne manque pas de vanter l'exquise fraîcheur de l'eau du robinet venant directement du puits - les grandes personnes commentent les derniers événements familiaux. Alors, la petite fille curieuse que je suis se faufile dans la seconde pièce de la petite maison : la chambre de mes grand-tantes...

Celle-ci est très grande, éclairée par une fenêtre joliment habillée de satin broché vert pâle brodé de fleurs et d'oiseaux qu'on retrouve aussi sur le divan de Tante Lou. Autour de son lit, le fameux cosy, à la mode ces années-là, déborde d'ouvrages reliés en cuir. Sur le dessus, quelques serre-livres en marbre, un bougeoir et de jolis objets de porcelaine. A la tête du lit, une lampe de chevet à l'abat-jour plissé repose sur une petite table ronde recouverte d'un napperon. Non loin du divan se trouve un table de jeu de bois sombre qui s'accorde bien avec l'armoire de style basque qui appartient à Tante Lou. Sur cette table, toujours une pile de livres : les lectures du moment choisies à la bibliothèque, des revues, de vieilles boîtes de chocolats gardées pour leur très joli couvercle, des cadres miniatures avec les photos des parents de ma grand-mère et un grand vase toujours empli des fleurs du jardin. Au mur, au-dessus du divan, un élégant tableau de fleurs et une série d'oiseaux peints sur de la soie, de style japonisant, que Tante Lou nous offrira plus tard, à ma cousine Fanny et moi. Devant la fenêtre une sellette supporte un buste de mignonnette de couleur brun-rose que je contemple toujours longuement. Cette pièce raffinée me charme longtemps.

Au-delà de l'armoire et du divan se trouve une grande alcôve qui est la chambre de Tante Marie. Elle est beaucoup plus rustique mais le grand lit inspire le respect ; je ne me glisse jamais de ce côté. Ce lit rappelle le veuvage et la pauvreté relative de Marie, recueillie par sa soeur. Il y a la table de chevet austère avec une statuette de la Vierge Marie, le couvre-lit au crochet blanc sur l'édredon hiver comme été -Tante Marie est si frileuse -,  le crucifix noir et le portrait du défunt oncle Ernest dans son cadre ovale et l'immense armoire aux deux portes bien lisses. J'ai tôt fait de revenir aux vivants dans l'autre pièce.

D'ailleurs, c'est l'heure de la brioche ou des gâteaux que nous avons achetés à la boulangerie préférée de Tante Lou dans le bourg en arrivant. Marie a installé la vaisselle du dimanche et Lou rappelle coquettement qu'il s'agit du service qui porte son nom : "Mary Lou" de Digoin. (Donc, pour moi, ce service évoque toujours les visites à Vic-le-Comte !)

A mon père, Tante Lou proposera un verre de vin de Porto, puis finira par servir chaque personne pour s'en délecter elle-même. Pour moi, il est l'heure de ma seconde exploration ! Prétextant un petit besoin, j'ai l'autorisation de descendre au cuvage avec la recommandation de ne pas oublier de vider le broc d'eau dans la cuvette en guise de chasse d'eau et de le remplir ensuite pour l'occupant suivant !

Là, on a vraiment l'impression d'entrer dans une caverne... Terre battue, murs bruts, ombre menaçante. Les toilettes ne sont pas loin de l'entrée, heureusement ! Et pourtant, j'aime cette atmosphère car lorsque les yeux s'habituent à la pénombre, un véritable capharnaum se révèle... Outre la colossale armoire aux bocaux et confitures, il y en a d'autres au fond aussi grandes et bien mystérieuses... et aussi des tables, chaises, buffet que mes tantes ont rapporté de leur appartement clermontois et les inévitables panoplies de jardinier ou vigneron laissées à l'abandon par les précédents propriétaires.  Il fait un peu frais, tout à coup ! Je termine alors ma visite de Vic-le-Comte par le jardin dont ma grand-tante ne possède qu'une partie. Elle soigne sa parcelle avec amour et c'est toujours la plus fleurie. Souvent je suis rejointe par mes tantes et la famille car Tante Lou vient couper quelques boutons pour sa soeur et ma mère.

C'est vrai, j'ai vécu entourée de nombreux adultes et j'aurais aimé parfois avoir des frères ou soeurs plus proches de moi en âge mais au moins j'ai écouté, j'ai regardé, enregistré, rêvé, imaginé... Je ne suis pas mécontente de mon enfance ; elle m'a appris à ne jamais m'ennuyer.

 © Lakévio

Comments

[birgitta]

Quand tu nous décris le cuvage, je deviens curieuse.....sûre qu´il y avait bcp d´ovjets intéressants aux yeux d´une chineuse.....lol!

C´est drôle, avec ces petits recits, j´apprends á mieux te connaître...j´aime bcp!

[Rêver au Sud]

Je te souhaite une merveilleuse fête de l'Assomption.

J'ai vu hier la magnifique procession en l'honneur de la Vierge Marie depuis Notre-Dame.

Merci aussi pour ce joli récit nostalgique ... et pour les digoin !!!

Mille bisous

Marie-Ange

[lakevio]

Tu ne crois pas si bien dire ! J'ai déjà raconté la célèbre pompe aux pommes de Tante Marie !...

[heure-bleue]

Tu nous raconteras les souvenirs de cuisine de Tante Marie....

[manouedith]

quelle belle page de vie, nous revivons avec toi ces précieux souvenirs, merci.

manouedith