Les amours enfantines
L'an passé, Mr LeGoût nous parlait de ses premiers émois...
A mon tour, je veux vous confier ma première vraie histoire d'amour...
Il s'appelait Lionel, il était blond et beau. Il sentait bon l'herbe des prés
C'était "un garçon de l'Assistance" ainsi que le disait Mémé Sybille à qui on l'avait confié.
J'avais sept ans, il en avait huit.
Jean Hildebrant - Tristan
Il y avait beaucoup d'enfants de l'Assistance Publique confiés à des familles, aux Buissonnets. Certains restèrent plusieurs années au village dans leur famille d'accueil. Ma grand-mère La Grenadière elle-même en avait élevé quelques uns. J'en connaissais certains à l'entrée du village que mon amie Madeleine m'emmenait voir ou avec qui nous faisions le chemin pour aller à la messe...
Mais cet été-là, ce petit blond était arrivé juste dans la cour en face de la maison. Je nous revois assis sur les marches de bois, à l'entrée de la maison de Mémé Sybille, occupés à regarder un magazine ou une bande dessinée, bien serrés l'un contre l'autre. Le plus souvent nous jouions dans la cour ou les prés attenants. Pendant quelques semaines nous fûmes inséparables. Dès le matin je guettais son apparition au portail. Je passais parfois plusieurs fois devant la grille, attendant que la maison s'ouvre et laisse appaître Lionel. Mon coeur battait très fort lorsque je le voyais et j'étais triste s'il me faisait languir. Je ne parlais que de lui et j'aurais fait n'importe quoi pour lui. Disons qu'il me faisait faire tout ce qu'il voulait (ou presque !)
- Pas cap d'entrer dans le pré des moutons !... Et si !
- T'as déjà vu des cochons ? Pas cap d'entrer dans l'enclos !... Euh, non, pas cap.
- Pas cap d'aller caresser la Rousse au pré (la Rousse étant une gentille vache)... Ben non, elle a des cornes, (Oui, en ce temps-là, figurez-vous que les vaches avaient encore leurs cornes !) et puis y'en a plein des vaches ! pas cap !
- Pas cap de grimper au pommier !... Tu rigoles ! Tu vois, je suis cap ! Eh, mais dis donc, regarde pas ma culotte !
Je pensais que l'été durerait toujours ou qu'au moins, je le retrouverais au prochain dimanche à la campagne...
Un jour, il fallut monter dans la Traction Avant pour regagner la ville, laissant la maison de vacances les volets clos et une petite silhouette blonde fugitive qui avait bien du chagrin sur le chemin. Je sentais cela, guettant par la vitre arrière de la voiture une nouvelle apparition de mon petit compagnon même si la pudeur des sentiments l'avait fait s'esquiver dans sa cour...
A mon premier retour, je réclamais Lionel à Mémé Sybille. Il était reparti à Clermont lui aussi, dans sa famille. Il n'avait été placé que pour les vacances... Et s'il est revenu aux Buissonnets une fois ou deux, je ne l'ai pas revu.
Brian LaSaga - Maria on Fence - 1986
Je n'ai jamais oublié cette force qui m'attirait au portail, cette joie de voir mon petit ami apparaître et le premier déchirement à le laisser sur le chemin à mon départ.
© Lakévio